mercredi, mars 09, 2005


8h00 ce matin, en cours.

Notre prof d’histoire s’époumone, force la voix, tente désespérément de nous transmettre quelques informations concernant des trucs franchement futiles – genre devoirs, conseil de classe, orientation,.. rien d’important quoi – pendant que les ¾ de la classe s’amuse comme des petits fous au jeu du « qui c’est qui rira le plus fort ? » ou bien « qui lancera la plus grosse boulette de papier sans que le prof ne s’en aperçoive ? » ou encore « qui c’est qui posera la question la plus con ? » en se foutant complètement de savoir ce que notre enseignant a de si important à nous communiquer. Tableau classique : les élèves foutent le boxon et le prof parle dans le vent.

Alors bon, pour passer le temps (c’est pas qu’on s’fait chier, m’enfin..) et puis parce que ça fait quand même un baille qu’on ne s’est plus vues (36 heures), ma coupine Prescilla et moi, on tape la discute dans notre coin, on rigole comme des poules (et on vous emmerde), pendant que Misteur History poursuit tout seul son trip scolaire.
Oh, on ne se raconte rien de palpitant hein, c’est vraiment juste manière de tailler la bavette et de ne pas nous écrouler sur nos tables, cédants à la fatigue et au stress quotidien qu’engendre la vie lycéenne (n’oubliez pas non plus qu’il est 8h00, et que je ne suis réveillée QUE depuis 45 minutes ; je tombe du lit donc. D’autant plus que les 30 minutes de bus comptent pour du beurre, vu mon état profondément comateux, ce qui nous fait un total de 15 MINUTES réveillée. Lamentable.).

Bref.
On est en cours, on papote, normal.

Quand soudain.
Voire même : lorsque tout d’un coup.
Un projectile non-identifié atterrit sur notre table.

« Diantre, me dis-je en mon fort intérieur, mais qu’est-ce donc que ce machin infâme rose – et fluo de surcroît – qui a négligemment chu sur notre espace de travail ?
Comment dis-tu, Pré ? Un surligneur ? Ah oui, tiens, je n’y aurais jamais songé, vraiment parfois je me dis que hein huhuhuhuh. »
Un surligneur donc. Rose. Sur ma table.

Je lance un coup d’œil circulaire pour repérer l’andouille qui a bien pu s’amuser à me balancer ça, alors qu’on est en cours quand même, merde (oooh ui booon, on peut faire semblant, au moins, non ?).
Mais rien. Tout le monde est occupé à faire le con, et personne ne semble intéressé par mon surligneur orphelin. Tant pis hein, je le garde (j’ai le sens du sacrifice exacerbé).

Je jette un regard méfiant à la Chose. Va bien falloir que je m’y habitue, à ce truc, puisque c’est lui qui m’a choisie comme mère et tutrice (ou presque). Je fais connaissance avec lui. Je le tourne, le retourne, le soulève, le soupèse, le fait glisser entre mes doigts.. Notre timidité s’efface au fur et à mesure pour laisser place à une confiance mutuelle. Il me lance un sourire encourageant qui semble dire « décapuchonne-moi, essaie-moi, tu verras, ma couleur saura te plaire ».

Puisque c’est demandé si gentiment hein..

Je tends ma main vers son capuchon, le saisis, crispe mes doigts, prêts à le retirer d’un coup sec et assuré lorsque quelque chose de blanc attire ma pupille. Tiens, on dirait un morceau de papier, là, coincé entre le capuchon et le stylo..

(…)

M..m.., ma’.., mais C’EST un morceau de papier !

Je n’ai pas hérité d’une poule aux œufs d’or, mais d’un surligneur qui ponds des morceaux de papier tout seul. A tous les coups on doit pouvoir se faire un peu de thune avec ça sur ebay. Coule.

Je retire donc ledit morceau, manière de voir. Je le déplie méthodiquement, l’aplatis du revers de la main, quand là : le choc.
--> y a un truc écrit dessus.

Tout être normalement constitué appellera ça un « mot » (mais si, vous savez, la méthode super pas discrète pour communiquer en classe.)
Moi, j’appelle ça un miracle (oui non parce que personne ne m'envoie jamais de mot, puisque je ne réponds jamais, de toute manière).

Je déchiffre péniblement tel Champollion devant ses pyramides les hiéroglyphes qui me sont visiblement adressés :

« Devine qui j’ai gardé hier soir »

Devine qui j’ai gardé hier soir..

Perplexe, je tends le mot à Prescilla qui, aussi déstabilisée que moi, me fait comprendre par un léger haussement d’épaule qu’elle ne pige que pouic au message.
essage, qui, bien sûr, n’est signé de personne. Super pratique.

Je cherche du regard un secours, un indice..
Et là, lumière sur ma tête. Que dis-je ? la grâce divine, les anges qui entonnent un mélodieux alléluïa dans mon dos alors qu’une auréole me pousse sur la tête et j’.. hum. Passons.

Mais c’est bien sûr : Josiane ! (dans un soucis d’anonymat évident, nous avons attribué ce pseudonyme à la personne dont il est question).

(..)

Oh mon dieu, non, pas Josiane.. (pour une meilleure compréhension, il faut savoir qu’elle n’est pas répertoriée dans mon classement « mes meilleures amies », si vous voyez c’que j’veux diiiire)

Ne me dites pas que.. ne me dites pas que cette NANA a gardé mon..mes..
Pitié pas elle..
Pas chez..
Oh non ?!..

Vite, j’empoigne mon stylo bic, et lui flanque ces deux lignes en dessous de son message :
« huuuuu ! dis-moi pas qu’t’as gardé mon frère et ma sœur ? »

Je fixe le mot à l’endroit où je l’avais trouvé, fait mes adieux au surligneur, les larmes aux yeux (je m’étais attachée à lui hé), et fais passer.
Et je prie pour que je me sois pitoyablement plantée, qu’en fait, je n’étais pas la destinataire, tout ça…

Ben non.

Le surligneur est bien vite reviendu. Et ce que je craignais se confirmait.

Elle m’avait raconté au début de l’année que sa mère était une amie à ma marâtre (la femme de mon père, donc). Connaissance du travail, quelque chose de ce goût-là.
Ma dite marâtre a du prendre connaissance de Josiane un jour où elle rendait visite à son amie; la trouver sympa ; pire, lui proposer de garder ma fratrie un soir où ils seraient de sortie.

Visiblement, ça n’a pas loupé, puisqu’elle m’a répondue, la garce :

« Non, j'ai seulement gardé Pablo… »

(mon frère d’amour)

Ouf, ils m’ont épargnée Léa. Oui parce là, ç’aurait été l’affront total (« alors, elle est gentille Josiane ? » « ohhh uiiiiii, mais toi tu puduku Lucie »), la honte suprême.
Elle ne m’aurait plus aimée, sans doutes qu’elle aurait préféré Josiane à moi, peut-être m’aurait-elle même répudiée. Chuis plus sa sœur.
Pablo, passe encore, il est jeune, il oubliera vite, il m’aimera encore samedi quand je reviendrai.


« … ton père m’a demandée si tu avais un copain… »

arghhhhhhhh glrupssss

J’ai failli m’étouffer ; d’abord d’étonnement, puis de rage, finalement de rire. Quel amphore ce type.

#1 si j’avais un copain, ce ne serait sans doutes pas elle que je mettrais au courant ;
#2 j’ai pas de copain, d’ailleurs si j’en avais eu un, ma main à couper que je le lui aurais dit (maintenant, il peut toujours se brosser ; ça va bien de m’espionner dans mon dos, nan mais oh ?)
#3 mais de quoi j’me mêle ?!! sans déconner, est-ce que je pose des questions à ses potes moi ? d’autant plus qu’elle n’est PAS ma potesse.


Et pour conclure en beauté, la cerise sur le gâteau :

« …siteplé ne leur dit pas que j’ai fumé dans la maison. »

uhhhhhhhhrgghh GNNNNN
Là, par contre, j’ai eu envie de la frapper. Mais je me suis retiendue.
Qu’elle fume, c’est une chose. Qu’elle me demande de ne pas la balancer s’en est une autre. Genre je suis à ses ordres. Je rêve.

Bilan.
Mon père a fait garder MON FRERE par une nana de mon âge, de ma classe, et que je n’aime pas. Il l’a faite entrer chez lui, elle a peut-être mangé avec mes couverts, elle s’est sans doutes assise dans mon canapé, elle a touché ma fratrie avec ses doigts dégoûtants.
J’appelle MrPropre tout de suite pour désinfecter la maison, ou j’attends encore un peu ?

A la limite, qu’ils ne me jugent pas assez âgée/sans expérience/pas assez mûre.. pour garder mes frères et sœurs, et que de par le fait ils lèguent cette (haute) responsabilité à un(e) adulte, majeur(e) en tout cas, je l’accepte parfaitement.

Mais qu’ils emploient une DONDON DE MON AGE, qui connaît sans doutes Pablo bien mieux que moi hein, bien sûr, quand même ça n’est jamais QUE mon frère, et qui a, à en jurer, plus d’expérience que ma petite personne, aînée de 5 frères et sœurs, là par contre, je pète un câble.
Voire une durite.
Faudrait pas dépasser les bornes des limites non plus.

>o:p>

Mon père doit préférer une inconnue à sa fille, je ne vois que ça.

Ou alors il ne m’aime plus, peut-être ?
Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour qu’il n’ait pas confiance en moi ?

Le mystère reste entier.