samedi, juin 25, 2005


La vie la mort les vaches, oui mais moi ? (c) a n g e l

Visite à mon arrière-grande-vioque cet après-midi à l'hôpital.

Par principe, je n'aime pas les hôpitaux. Déjà, parce qu'à part les naissances, ils ne sont que trop rarement porteurs de bonnes nouvelles; ensuite, parce qu'il y règne toujours une ambiance un peu angoissante, comme hors du temps. Senteur éther et médicaments. Et les couloirs sont à mon goût un peu trop familiers à la Mort.

L'hôpital dans lequel est parquée mon aïlleule n'est guère différent des autres.
Un grand bâtiment, clair, qui se fond à demi dans le parc qui l'environne. Joli d'ailleurs, le parc. Quelques arbres centenaires, des fleurs qui poussent timidement au coin du sentier, des oiseaux qui chantent comme si c'était le printemps, trois bancs qui se battent en duel et une mémé, probablement perdue, qui gambade gaiement le long du chemin, la canne sous le coude, enchaînant les pas de claquettes les plus improbables. C'est lorsqu'elle a commencé à entonner "I'm singin'in the rain" que je me suis posée de sérieuses questions quant à la gestion visiblement pitoyable de cet hôpital où on ne laisse pas mourir les vieux de solitude, de lassitude et de chagrin en paix.

Non, je déconne.
Il y avait bien une mémé, elle tenait bien une canne sous son coude, mais elle était assise sur un banc, le regard dans le vide, la tête penchée sur le côté, sans aucune expression de vie, et elle n'a pas bougé des 45 minutes où nous étions en visite.
Aucun souci, ils ont tous bien fait leur boulot là-bas.

Enfin bref.

Nous arrivons docn dans le hall, ma mère, ma soeur cadette et moi-même, toutes trois prêtes à accomplir notre B.A. de la journée, le sourire aux lèvres, le soleil dans le dos. Rapide bonjour balancé au mec de l'accueil qui n'a pas l'air sympathique pour un sous, nous lance à peine un coup d'oeil et retourne illico à sa paperasse.
On enchaîne avec le Parcours Du Combattant. Pour arriver à la chambre 514, il faut traverser moults couloirs vitrés, contourner les Urgences (par ailleurs fermées par un grillage ?! j'ai eu du mal à saisir l'utilité d'Urgences fermées au public, mais enfin..), pendre l'ascenseur, puis l'escalier, parcourir d'autres couloir, et arriver finalement dans la section Gérontologie.
Gérontologie, ça veut dire la partie de l'hôpital où on stocke tous les vieux.

Je parle crûment, ouais, c'est vrai. Mais j'ai été tellement troublée de traverser cet endroit que je ne peux pas en parler avec des mots édulcorés et scintillants hein. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de faire des visites en gérontologie (si non, je vous le recommande vivement, c'est hypra fun et tellement reposant pour la conscience). Personnellement ça m'a fait drôle.
Pas de vie. Plus de vie, en fait.

Nous entrons donc sans faiblir dans ce département de l'hôpital. Quelques peu déstabilisées par la multitude de fauteuils roulants qui traînent dans les couloirs, les tableaux terriblement déprimants au mur (sérieux quand je les ai vu, j'ai eu envie de me suicider), les plantes vertes ridicules, bref, par cette abscence remarquable de vitalité, c'est tout de même avec conviction que nous avons poursuivi notre recherche de la chambre 514.
Je ne peux pas m'empêcher de jeter un coup d'oeil dans les chambres où la porte est restée ouverte. Mon dieu. Des dizaines de personnes, toutes passablement âgées, allongées misérablement sur leurs lits, se mouvant avec peine, souffrant de la chaleur, râlant, parfois. Spectacle affligeant et déprimant au possible. Je compatis à leur sort. Et puis je fuis. Je presse le pas, je détourne le regard, j'évite de me faire submerger par la vague d'angoisse qui ne m'a plus noyée depuis deux ans. Deux longues années sans être prise par le vertige et sans faire de crise alors que je pense à la mort.

510..512..514..514 ! Nous arrivons dans la chambre double de mon arrière-grand-mère. Je n'ai jamais eu beaucoup d'affection pour elle; cette femme a le pire caractère que j'aie jamais eu l'occasion de connaître. La légende dit qu'elle tient le coup grâce à sa haine des gens et du monde. Elle a 92 ans, et elle s'appelle Lucie, comme moi.

Mais aujourd'hui, j'ai vu quelqu'un de totalement différent. Une "pauvre vieille femme", comme elle le dit elle-même, au visage bleuit, aux mains et bras couvertes d'hématomes, au poignet plâtré, clouée à son fauteuil d'hôpital, et qui oublie périodiquement ce qu'elle a dit et ce qu'elle a fait. Pour la première fois elle m'a semblé humaine, un peu perdue, aussi. Elle ne sait pas si elle retrouvera un jour sa maison tournée côté nord, son jardin et ses chats. Elle croit que son fils a dû laisser tomber tout un tas de choses hyper importantes parce qu'il se sentait forcé de venir la voir (je déteste cet homme, il est cupide et intéressé, il a une mentalité de merde, et bordel de merde s'il ne peut même pas laisser tomber sa boutique hippie pour aller visiter sa mère, mais alors qu'il reste dans sa Savoie pourrie et qu'il ne nous fasse pas chier)(pardon).
J'ai vu la détresse dans ses yeux quand elle nous a expliqué qu'on était obligé de lui couper sa viande à table et qu'elle ne pouvait plus rien faire d'autre que les trajets chambre-cantine.


Aujourd'hui pour la première fois, je n'ai plus craint la mort.
Au contraire : je l'ai perçue comme un moyen de se délivrer de la vieillesse..


Et je me demande, au bout du compte laquelle des deux est la plus à craindre.